www.gardiensdularge.org                                                                                                                            décembre 2025



INTRODUCTION

 

      Par une décision du 7 novembre 2025, le Conseil d’Etat a rejeté la requête déposée le 10 juillet 2024 par six associations (*) qui demandaient l’annulation de la désignation d’Elicio et BayWa r.e. comme lauréats conjoints de l’appel d’offres AO5, sous l’appellation de consortium (à 50/50) Pennavel. Le seul motif invoqué par le Conseil d’Etat était que les associations ne justifiaient pas d’un intérêt leur donnant qualité pour agir. Cette décision lui permettait de botter en touche et de ne pas répondre aux arguments de fond soulevés par les requérants.

 

      Voir le communiqué des 6 associations : https://www.gardiensdularge.org/11/13-cp-conseil-d-etat

 

      D’un point de vue démocratique, ce jugement prive les citoyens, riverains, pêcheurs, acteurs de terrain, de la possibilité de contester une décision de l’Etat qui les affecte, touchant par là un fondement de la République…

 

      Surtout, en n’abordant pas le fond, le Conseil d’Etat jette le voile sur les zones d’ombre de l’appel d’offres AO5, dont, parmi les plus graves, se trouve le manque de vigilance de l’Etat français sur les capacités techniques et financières de la société agricole allemande BayWa AG, maison-mère de BayWa r.e.

 

    Précisément l’évaluation de ses capacités financières mérite d’être racontée car elle témoigne à la fois de la légèreté de l’administration lorsqu’elle est chargée de traiter de grands dossiers industriels, mais aussi de la priorité donnée alors aux retombées électorales contre l’intérêt du pays.

 

 

(*) Association Gardiens du Large, Fédération de protection et d’aménagement de la baie de Quiberon des îles et du grand site dunaire, Union française des pêcheurs artisans, Sites et Monuments, Union belliloise pour l’Environnement et le Développement, Fédération Environnement Durable.

 

 

 

 

DERRIERE LE CHOIX DE PENNAVEL


 

  •   Le déroulé de l’appel d’offres (ou dialogue concurrentiel)


      La procédure de dialogue concurrentiel concernant le projet Bretagne-Sud a été lancée par un avis publié au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE), le 30 avril 2021.

A la même date était publié par la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) le document de consultation  (lien ci-dessous [1]), qui définissait l’ensemble des règles applicables à la procédure.

 

  • Phase de présélection : La période de dépôt des candidatures s’est clôturée le 1er juillet 2021 ; leur examen par la CRE s’est achevé le 29 juillet 2021, date de son rapport de synthèse [2] : dix sociétés étaient qualifiées pour remettre une offre ; la plupart étaient des majors des projets offshore (Equinor, RWE, Vattenfall, Shell, Total, Iberdrola…). A leur côté figurait un outsider, un regroupement formé par Elicio, une petite entreprise belge appartenant au consortium public de l’intercommunale de Liège, et BayWa r.e. filiale « renouvelable » d’un vaste groupe agricole Allemand, sans référence dans l’éolien marin. C’est lors de cette pré-sélection qu’avaient été vérifiées les capacités techniques et financières de chacun, selon les termes du document de consultation.
  • o  Phase de dialogue entre maître d’ouvrage et candidats (2022 à juin 2023) : Elle a pour objet de clarifier et faire partager aux candidats toutes précisions sur les innombrables paramètres du projet, aussi bien de nature physique que procéduraux. Cette phase se conclut par la publication par la CRE d’un cahier des charges [3], version finale du 4 août 2023.
  • o  3ème phase : Les candidats eurent jusqu’au 2 octobre 2023 pour remettre leurs offres, lesquelles furent alors analysées par la CRE : cette phase de sélection du lauréat, selon les modalités prévues dans le cahier des charges, aurait été achevée par la CRE en février 2024. Ce n’est cependant que le 15 mai 2024 que le ministre de l’Economie Bruno Le Maire allait dévoiler le lauréat, le consortium Elicio + BayWa r.e., qui prenait dès lors le nom de Pennavel.

 

  •   La dérive ignorée des performances de BayWa AG

 

      Cependant entre la pré-qualification prononcée par la CRE le 29 juillet 2021, sur la base des résultats des trois années antérieures, et l’analyse des offres achevée par la même CRE en février 2024, la situation financière de BayWa AG s’était radicalement dégradée : si les années précédant l’appel d’offres furent des années fastes, 2022 constituant une année record pour le chiffre d’affaires (27 Mrds €) et le résultat net (168 M.€), cette situation périclita les années suivantes où le résultat devint négatif (- 92 M€ en 2023, -1,15 Mrds en 2024). Le montant de la dette était également alarmant, le total dette + engagements divers (11,1 Mrds €) dépassant le montant des actifs en 2024 (10,8 Mrds). Les raisons de cette dégringolade tiennent autant à la conjoncture économique pour l’activité principale du groupe (le commerce de gros agricole) qu’à la dérive de la nouvelle filiale « énergies renouvelables » BayWa r.e exagérément endettée, dans des projets éoliens terrestres ou photovoltaïques aux coûts croissants en matières premières, composants, taux d’intérêt, ce qui rendait leur revente difficile.


      Si l’examen de la situation de l’entreprise au moment de sa pré-qualification en 2021, basée sur les résultats des années antérieures, avait pu faire illusion, il est effarant que la dérive des comptes des exercices suivants n’ait pas été enregistrée par les experts de la CRE. Une explication vient à l’esprit, son statut d’outsider a pu émousser la curiosité.

 

      L’entreprise étant cotée à la bourse de Francfort, les principaux chiffres étaient pourtant publics, objets de nombreuses dépêches alarmantes des agences Reuters et DPA.


      Ainsi des articles ci-dessous sont éloquents sur la dégradation en cours, tous antérieurs à la désignation de BayWa comme co-lauréat de l’appel d’offres (le 15 mai 2024) – voir site : https://www.zonebourse.com

 

               -    Déjà le 09 novembre 2023 à 15:37 - BAYWA dans le rouge…

Agence de presse MUNICH (dpa-AFX) – (…) En raison de l'augmentation des intérêts, le bilan fait même état d'une perte de près de 22 millions d'euros, contre un bénéfice de 155 millions d'euros un an auparavant.


               -   … puis le 28 mars 2024 à 23:16, à la publication des résultats de l’année 2023,  :

 BayWa Aktiengesellschaft a publié ses résultats pour l'exercice clos le 31 décembre 2023. Pour l'ensemble de l'année, la société a déclaré un chiffre d'affaires de 23 991,3 millions d'euros, contre 27 095 millions d'euros l'année précédente. La perte nette s'est élevée à 98,1 millions d'euros (sic), contre un bénéfice net de 168,1 millions d'euros l'année précédente.

 

              -   Enfin le 8 mai 2024, quelques jours avant la désignation officielle du lauréat (le 15 mai), un communiqué de l’agence de presse dpa-AFX titrait « Baywa en crise, l’activité d’électricité verte va mal », mettant en cause pour la première fois la filiale BayWa r.e, qui allait être déclarée co-lauréate de l’AO5 une semaine plus tard !

On y lit : « … Entretemps, elle a fait de la construction et de l'étude de projets de centrales électriques écologiques un grand secteur d'activité. Mais cela ne marche pas bien: le chiffre d'affaires de la branche ( = BayWa r.e.) a chuté de près de 40 pour cent par rapport au premier trimestre 2023, passant de 1,5 milliard à 904 millions d'euros, et le résultat d'exploitation a été négatif de 65 millions d'euros…»

 

Nota : On rappelle en sus que le 1.8 du Cahier des Charges stipulait que le candidat « s’engage sur le maintien pendant la Procédure de ses capacités techniques et financières à un niveau au moins équivalent à celui exigé au stade de la sélection des candidatures. »

 

 

  •   De la victoire à la chute

 

     C’est pourtant ce candidat outsider fragilisé qui fut choisi par le ministère de l’Economie pour emporter le premier appel d’offres éolien flottant industriel, projet complexe et risqué. Il est vrai que le gouvernement n’avait apparemment plus d’autre choix. Les élections européennes approchaient (elles allaient se tenir le 9 juin 2024) et le gouvernement ne pouvait annoncer l’échec de l’appel d’offres AO5. Or plusieurs candidats s’étaient déjà retirés et le lauréat recommandé par la CRE au terme de l’analyse des offres en février (classé en premier), la société norvégienne EQUINOR, leader incontesté des projets éoliens en mer et des plateformes pétrolières – elle n’était autre que l’ex géant pétrolier norvégien Statoil – venait de se désister du projet, en renonçant à constituer les garanties exigées par le gouvernement français !

 

     En désespoir de cause, c’est ainsi le second de liste, le consortium Elicio - BayWa qui fut retenu par défaut, au tarif de 86,45€/MWh. Le ministre de l’Economie, Bruno Lemaire, et son ministre délégué à l’Industrie et à l’Energie, Roland Lescure, annoncèrent le choix de ce tandem Elicio - BayWa comme lauréat de l’appel d’offres AO5, le 15 mai 2024 à Fécamp (lauréat encore présumé, jusqu’au versement des garanties prévues).

 

  •   Le marché réagit à ce que la CRE n’avait pas considéré

 

     Un coup de théâtre allait en effet advenir peu de temps après, vers le 12 juillet, quand une augmentation du capital de Pennavel - passant de 1000 € à sa création, le 9 janvier 2024, à 9,25 M€ - lui permit de mettre à disposition des autorités françaises les garanties attendues, d’un montant de 75 M€ (celles-là mêmes qu’Equinor avaient refusé de verser).


    Ce signal marquait la victoire définitive d’Elicio et Baywa AG…  et donc leur engagement à financer le projet AO5 pour un montant estimé à environ 1 milliard d’euros.


    Dans les milieux boursiers de Francfort, cet engagement supplémentaire de BayWa (50% de ce total), qui allait figurer au bilan de Baywa AG, fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase : le 15 juillet 2024, l’action de BayWa AG à la bourse de Francfort s’écroula de près de 50% (de 22 à 12 €/action) !


     Première conséquence managériale, la directrice financière de BayWa r.e., qui avait couvert les derniers engagements de la société, fut remerciée (communiqué du 23 juillet), ce qui pointe indubitablement l’origine de la crise.

 

    Quant à BayWa AG et à sa filiale BayWa r.e, elles furent progressivement placées en redressement financier selon un plan de restructuration qui doit s’étaler jusqu’en 2029. Société-mère et filiale n’en finissent pas d’encaisser des difficultés répétées, la dernière en date étant la dépréciation des filiales éoliennes américaines, frappées par les mesures anti-renouvelables du président Trump.

 

L’action BayWa AG est cotée aujourd’hui aux environs de 2,5 €/action.

 

On ne peut que constater que le groupe BayWa n’avait pas les reins assez solides pour supporter sa responsabilité dans le projet éolien Bretagne-Sud. Depuis le lancement de son processus de restructuration, les tentatives de BayWa AG de se désengager de BayWa r.e. ayant avorté, c’est la crédibilité de Pennavel qui en reste affectée…

Les incertitudes consécutives sur le devenir du projet sont évidemment porteuses de risques pour les finances publiques.

 


  •  La responsabilité des autorités françaises

 

  Le manque de vigilance des autorités françaises en charge de cet important dossier industriel, particulièrement novateur et risqué, est donc accablant : au départ manque d’analyse critique des références techniques, alors que la technologie flottante, encore expérimentale au stade industriel, requiert une haute technicité et une solide expérience, ensuite défaut d’analyse en temps réel des paramètres financiers de BayWa AG, pourtant disponibles publiquement puisqu’il s’agit d’une entreprise cotée. Cette situation aurait dû remettre en cause la désignation de Pennavel comme lauréat de l’appel d’offres.

 

  Mais annoncer l’échec du premier appel d’offres éolien flottant industriel trois semaines avant les élections européennes du 9 juin 2024 n’était politiquement guère envisageable. On désigna donc le consortium Elicio - BayWa, malgré sa fragilité révélée, ce qui à court terme offrit au gouvernement l’occasion d’afficher au bon moment un « succès industriel ».

Cf Roland Lescure, communiqué du 15 mai 2024 : « la France prend résolument le virage de l'éolien en mer et continue de se positionner en pointe sur le flottant ».

https://presse.economie.gouv.fr/le-gouvernement-annonce-le-laureat-du-premier-appel-doffres-eolien-flottant-au-sud-de-la-bretagne/

 

Le verdict du Conseil d‘Etat du 7 novembre 2025 a opportunément jeté un voile sur cette encombrante séquence…


Ce bref historique est destiné, malgré tout, à éclairer les citoyens.

 

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[1]   https://www.cre.fr/fileadmin/Documents/Appels_d_offres/import/210430_Document_de_Consultation_AO5.pdf

[2]   https://www.cre.fr/fileadmin/Documents/Appels_d_offres/import/210729_2021-258_Eolien_en_mer_AO5_Sud_Bretagne_rapport.pdf

[3]    https://www.cre.fr/fileadmin/Documents/Appels_d_offres/import/2023_08_DGEC_AO5_CdC_version_modificative_aout_2023.pdf