Le Figaro
17 octobre 2025
Bernard Accoyer : « Dans la confusion politique, il serait scandaleux que la PPE3 soit publiée en s’affranchissant du Parlement »
TRIBUNE - Reportée par François Bayrou, la publication du décret sur la programmation pluriannuelle de l’énergie pourrait intervenir sans débat au Parlement. Cela constituerait un déni démocratique et une erreur en matière de politique énergétique, s’inquiète le président de PNC France*.
Ancien président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer est président de PNC France.
Dans l’actualité agitée du moment, le débat sur la programmation pluriannuelle de l’énergie a presque été oublié. Pourtant, dès la nouvelle équipe gouvernementale mise en place, la technostructure étatique et les lobbies industriels concernés mettent la pression pour que le projet de PPE3 (2030/2035) soit publié rapidement par décret, avant même que les travaux parlementaires sur la proposition de loi Gremillet soient achevés. Une telle entourloupe serait condamnable sur la forme et gravement dommageable pour la France et les Français. Elle serait condamnable sur la forme, car elle consacrerait un déni de démocratie. Il appartient au Parlement d’établir et de voter les textes législatifs, et il serait inacceptable que, cédant à des intérêts privés, des services de l’État contournent ainsi son rôle.
Elle serait gravement dommageable pour la France et les Français, car il est démontré que le projet actuel de PPE3 comporte des aberrations qui demandent impérativement à être corrigées. Quels que soient les arguments fallacieux et intéressés des lobbies du gaz et des énergies renouvelables, il est établi que le développement massif des sources d’énergie éolienne et photovoltaïque proposé à court terme par le projet actuel ne répond à aucun besoin et est ruineux pour l’économie française et les consommateurs. Dans la situation économique de la France, avec 3400 milliards de dettes, il convient d’écarter tout engagement financier non indispensable. Pour éclairer son analyse, le gouvernement peut s’appuyer sur les conclusions et recommandations de la commission d’enquête sénatoriale sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050.
L’Académie des sciences, quant à elle, critique formellement le projet de PPE3 et de multiples voix parmi les plus compétentes, dont celle du Haut-Commissaire à l’Énergie Atomique, s’élèvent contre des objectifs déraisonnables de croissance des productions d’électricité aléatoires et intermittentes. Malgré la multiplication par deux du prix de l’électricité pour les consommateurs depuis le Grenelle de l’environnement, malgré les menaces sur la stabilité du réseau que les politiques énergétiques de la France et de l’Europe ont entraînées, certains membres de l’exécutif et de la technostructure étatique, influencés par de puissants lobbies, entendent préserver la philosophie affichée dans la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte de 2015 (LTECV), non abrogée malgré le basculement stratégique de 2022.
C’est ainsi que la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), la Commission de régulation de l’énergie (CRE), et les deux entreprises qui transportent et distribuent l’électricité, RTE et Enedis, ont proposé d’engager notre pays dans des investissements qui se chiffrent en centaines de milliards d’euros, en multipliant par environ trois d’ici à 2035 les productions cumulées éolienne et solaire, dont on sait qu’elles sont intermittentes, voire intempestives, et très dispersées géographiquement. Un constat s’impose : la France produit largement plus d’électricité qu’elle n’en consomme, grâce à ses parcs de production hydraulique et nucléaire. Nous avons exporté 89 TWh en 2024, soit 20 % de notre consommation intérieure (450 TWh), parfois à des prix extrêmement bas. En clair, nous avons financé la décarbonation de nos voisins. Or le projet de PPE3 propose d’en faire encore plus !
Un surcroît de production intermittente qui aurait encore priorité d’accès au réseau, puisque telle est la règle européenne, se substituerait à une production nucléaire pourtant moins carbonée et indispensable à l’équilibre du réseau électrique. Après le black-out ibérique, il est clair que les productions solaire et éolienne fragilisent tout le réseau, le rendant vulnérable par leurs excès. RTE le confirme : « Les exigences de sécurité d’alimentation ne sont tout simplement pas compatibles avec un pourcentage trop élevé d’énergies fatales intermittentes » Enfin, qui peut contester que l’accroissement de la production renouvelable se traduira fatalement par une augmentation supplémentaire du prix de l’électricité fournie aux clients, privés ou professionnels ?
Des déclarations publicitaires biaisées ou mensongères masquent la réalité des coûts complets de l’électricité produite par les énergies renouvelables intermittentes, et elles cachent leur poids sur le budget de l’État. In fine, c’est le consommateur-contribuable qui est trompé - c’est lui qui paye -, tandis que la France s’affaiblit. Les publications biaisées de la CRE, (« Démêler le vrai du faux ») s’associent à ces mensonges, un comble pour une autorité administrative indépendante ! L’exemple de l’échec cuisant de la politique énergétique allemande devrait alerter même les plus réticents.
Les publications de la CRE révèlent que les parcs éoliens bénéficient de prix garantis jusqu’à trois à cinq fois supérieurs au prix du MWh du parc nucléaire. Sans risque de se tromper, il est possible d’affirmer que les propositions d’investissements massifs en énergies renouvelables intermittentes, accompagnés de développements considérables des réseaux, mais aussi des moyens de compensation de l’irrégularité de leurs productions qui sont particulièrement importants pour l’éolien flottant et le solaire, conduiront à une augmentation déraisonnable du prix de l’électricité pour le consommateur domestique ou l’industriel. Une telle perspective est incompatible avec le redressement économique de la France, sa décarbonation et sa réindustrialisation, et elle serait porteuse de conséquences sociales graves.
Si une programmation prévisionnelle de l’énergie doit être définie, les enjeux sont d’une importance telle que les décisions doivent s’appuyer sur des analyses rationnelles et objectives, avec des perspectives raisonnables. PNC-France demande donc qu’une étude d’impact des choix envisagés soit conduite sous le contrôle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, avec l’appui des académies. Dans l’attente, il serait scandaleux que, dans la confusion politique qui prévaut hélas actuellement, la PPE3 soit publiée en s’affranchissant du Parlement et en ignorant les alertes d’organismes compétents récemment rendues publiques. Alors que les autorisations déjà accordées pour de nouvelles installations éoliennes et solaires sont encore considérables, rien ne saurait ni ne pourrait justifier une telle errance démocratique.